Finalement le terme « manager » est bien large : il désigne aussi bien le manager de proximité que le dirigeant de multinationale. C’est un peu vaste …
Je n’ai pas la prétention de proposer une terminologie plus fine, mais d’éclairer 3 étapes qui me semblent particulièrement marquantes dans la construction de l’identité du manager : passer de collaborateur à manager, devenir manager de manager, devenir manager isolé (c’est-à-dire sans pairs dans l’organisation)
Le job de manager, bien que passionnant, est quoiqu’on en dise loin d’être facile. Pour aider ceux d’entre vous qui passent par l’une des trois étapes décrites plus haut, voici quelques conseils utiles autour des « deuils à faire » (si le terme « deuil » vous apparaît trop morbide, remplacez le par « renoncement », cela marche aussi).
Devenir manager
Vous voilà fraîchement promu : bravo ! L’entreprise a su reconnaître votre valeur et, belle récompense, vous confie la responsabilité d’une équipe. Enthousiaste, vous vous dîtes que vous n’allez pas reproduire les erreurs de vos propres managers, et que vous serez un chef exemplaire !
Le principal deuil à faire est de renoncer à l’égalité avec l’équipe : vous devez avoir la distance nécessaire pour tenir votre place. Si vous êtes promu manager de l’équipe à laquelle vous apparteniez, ça ne va pas être simple ! Ne cherchez pas à faire « ami / ami » avec vos collaborateurs, à garder intact l’esprit de camaraderie que vous appréciiez tant auparavant. Vos pairs, ce sont maintenant les autres managers : c’est avec eux que vous pouvez partager librement ! (voir à ce sujet mon billet sur les groupes de pairs de managers).
Un autre deuil est de perdre une forme de liberté d’expression : faire partie de la ligne managériale implique d’en assumer les positions, même quand on n’est pas d’accord (et cela arrive, presque autant qu’avant !). « Dire du mal du chef » est un sport national : il va falloir trouver une autre occupation ! Votre position de manager de proximité est la plus difficile sur ce point : vous serez souvent entre le marteau (votre propre manager) et l’enclume (vos collaborateurs qui, n’ayant pas eux-mêmes à relayer le discours plus, vivent assez librement leur désaccord).
Plus tard, quand vous aurez à manager des managers, ceux-ci seront plus compréhensifs car « dans la même galère », et vous serez éloignés de l’enclume, pour devenir, quelque part, un marteau entre deux marteaux …
Mais d’autres difficultés apparaîtront à leur tour !
Devenir manager de managers
Vous avez montré que vous saviez gérer une équipe, et fait preuve de suffisamment de leadership pour que l’entreprise mette sous votre responsabilité d’autres managers : félicitations ! Vous prévoyez bien sûr d’appliquer avec vos managers les recettes qui ont fait votre succès. Prudence …
En premier lieu il va falloir accepter de vous éloigner du terrain. Le management de terrain, c’est le rôle de vos managers ! C’est un renoncement souvent difficile, surtout quand on a la passion du métier (je constate souvent cela, par exemple, chez des ingénieurs passionnés). Cela n’interdit pas – bien au contraire, c’est même indispensable – de faire quelques « plongées » sur le terrain de temps en temps pour garder le contact. Vous pouvez aussi garder quelques sujets en direct qui vous amusent particulièrement et vous donnent de l’énergie, ce n’est pas interdit de se faire plaisir !
Il vous faut aussi faire le deuil de votre légitimité technique. Jusqu’à présent vous pouviez vous appuyer sur celle-ci pour asseoir votre position. D’ailleurs c’est – très probablement – sur la base de votre excellence technique que vous aviez été promu manager de terrain. Désormais votre légitimité se joue ailleurs : sur votre capacité à donner à vos managers les moyens de tenir leur rôle (moyens au sens large : des objectifs clairs, les ressources adéquates, le soutien). Et puis très vite vous réaliserez qu’en vous éloignant du terrain, vous devenez techniquement moins bon que vos équipes. Bien que ce ne soit pas forcément évident à accepter, c’est normal et très bien comme cela !
Bon, vous réussissez là-dedans ? Vous voilà gravissant les échelons de la hiérarchie, manager parmi d’autres managers à des niveaux de plus en plus élevés. A quelques détails près – de plus en plus de politique, de networking – votre job est le même. Un jour vous faîtes partie du Comité de Direction. Mais où va donc s’arrêter cette ascension ? Nous y voilà …
Devenir manager isolé
Vous voilà promu patron de l’entité, « grand chef à plûmes », objet de l’imaginaire des collaborateurs, vénéré, redouté ou décrié, celui qui a le pouvoir d’arbitrage ultime (même si on pourrait disserter sur les marges de manœuvre réelles des patrons par rapport à leurs actionnaires, mais c’est une autre histoire !).
Le plus difficile sera probablement de renoncer à la parité : en effet vers qui se tourner quand on a un doute sur un sujet délicat ? Le besoin d’échanger en toute liberté, sans conséquences ? Les coaches le savent bien : quand un dirigeant se fait coacher, quelque soit le thème, il trouve déjà un bienfait considérable à sortir de son isolement !
Il faut aussi oublier les perspectives de promotion : dans cette structure il n’y en a plus ! Pour certains cela pourra résonner comme un grand vide, surtout si les changements de postes fréquents étaient un facteur de motivation important.
En conclusion
Chacune de ces trois étapes est facteur de risque : les deuils non effectués vont grandement « polluer » le manager dans l’exercice de ses fonctions.
Par exemple, un manager de managers qui n’aurait pas renoncé à sa légitimité technique aura du mal à favoriser le recrutement de personnes plus expertes que lui, mettra son grain de sel dans des dossiers où il n’a pas de valeur ajoutée voire, au pire, prendra des décisions techniques inappropriées car basées sur une expertise dépassée.
Alors faîtes vos deuils : mais ce n’est pas que négatif, car rappelez vous que chaque renoncement est synonyme de nouveaux apprentissages, et de nouvelles cordes à votre arc !